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Technologie

L’expression « intelligence artificielle » sème le

Cette expression désigne un domaine en plein essor, mais elle est aussi un obstacle à la compréhension de ses enjeux.

ans la construction du discours scientifique, le choix des mots est essentiel et l’abandon des mots « impetus », « phlogistique », « éther », etc. a successivement transformé la mécanique, la thermodynamique, l’optique, etc. Nous pouvons nous demander s’il ne serait pas sage de réserver le même sort à l’expression « intelligence artificielle », utilisée aujourd’hui pour désigner les algorithmes d’apprentissage automatique. Plusieurs griefs peuvent en effet être retenus contre elle.

Tout d’abord, il est inhabituel, dans nos langues, de désigner un objet artificiel par un mot désignant un objet naturel suivi de l’adjectif « artificiel ». Nous disons « sous-marin », et non « poisson artificiel », « avion » et non « oiseau artificiel » (même si « oiseau » et « avion » partagent une même étymologie), « couteau » et non « dent artificielle ». Par la création de ces mots, nous rappelons qu’un couteau est autre chose qu’une dent fabriquée par un ingénieur : le couteau et la dent partagent certes certaines propriétés, telle celle de couper la viande, mais pas toutes.

Un autre inconvénient est que l’expression « intelligence artificielle » a changé de signification plusieurs fois au cours de sa brève histoire. Si « une intelligence artificielle » désigne aujourd’hui un algorithme d’apprentissage automatique et « l’intelligence artificielle » la branche de l’informatique qui étudie ces algorithmes, cette formule a, par le passé, désigné d’autres branches de l’informatique, telles que le traitement des langues ou la démonstration automatique – raisonner, parler, apprendre ayant été, tour à tour, les facultés de l’intelligence mises en avant.

Par ailleurs, cette expression nous laisse croire que la finalité d’un objet technique est d’imiter une faculté humaine, alors que nous construisons, au contraire, ces objets techniques pour dépasser nos handicaps. Nous ne cherchons pas à construire des calculatrices qui font des multiplications comme nous ou des véhicules autonomes qui conduisent comme nous. C’est plutôt parce que nous ne savons pas faire de multiplications sans erreurs ou conduire de véhicules sans provoquer d’accidents que nous construisons ces objets.

Mais, surtout, « intelligence artificielle » relève d’une tradition fantastique ancienne qui, de Pygmalion et Galatée, Frankenstein et sa créature, Loew et le Golem, jusqu’à Geppetto et Pinocchio, met en scène la fabrication d’êtres humains sans recours à la reproduction sexuée. À travers la question éthique : faut-il donner les mêmes droits à Pinocchio qu’à un autre être humain ?, cette tradition s’interroge sur la frontière qui sépare le vivant de l’inerte et l’humain du non-humain, sur notre anthropocentrisme et sur l’anthropomorphisme qui consiste à éprouver des sentiments pour un ours en peluche.

Or un algorithme d’apprentissage automatique n’est pas un pantin de bois devenu soudainement humain et, pour importantes qu’elles soient, ces questions éthiques et philosophiques sont tout à fait différentes de celles posées par ces algorithmes. Se demander s’il est souhaitable de laisser un tel algorithme analyser une radiographie d’un patient et si débrancher un tel algorithme est un meurtre sont des questions toutes deux intéressantes, mais relativement indépendantes. Et il est dommage de voir la seconde convoquer nos fantasmes et nos peurs et nous empêcher de penser sereinement la première.

Il serait regrettable que l’expression « intelligence artificielle », qui a contribué à populariser les algorithmes d’apprentissage automatique, finisse par en masquer la nature et les enjeux.

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