Depuis quelques années au Bénin, une nouvelle science a vu le jour et fait l’objet de recherche de la part de nombreux étudiants et enseignants. Il s’agit de la Boologie, (la science du fâ vodoun bo). A la veille de l’édition 2023 de la fête des religions endogènes, nous avons reçu Dr Raymond Coovi Assogba, Maître de Conférences des Universités de CAMES, Sociologue et Boologue à l’Université d’Abomey-Calavi. Il nous parle du vodoun, de la boologie et de ses ramifications avec le fâ.
AWR : Comment comprendre le terme vodoun ?
Raymond C. Assogba : Le vodoun a un sens plus articulé par défragmentation très inspirante. Il y a ‘’vo’’ et ‘’doun’’. Selon l’histoire, il y a deux jumeaux qui sont allés chercher la connaissance, c’est-à-dire qu’ils sont allés à une rivière pour puiser de l’eau. Arrivés là-bas la nuit, ils ont trouvé une vieille dame qui garde le puits et dont les cheveux dépassaient son bassin. Ils ont voulu puiser rapidement et partir. La dame se retourne et leur dit ‘’mi vo bo doun’’. Ce qui veut dire que c’est avec la patience qu’on accumule la connaissance, ce qui met l’accent sur la sagesse. Le vodoun en fait, c’est la sagesse de nos ancêtres. Mieux, pour nous en boologie (science du fâ vodoun bo), nous avons arraché le vodoun à la sphère de la religion. La boologie considère vodoun comme une pensée ; donc tombant sous le coup de la recherche scientifique.
Quel lien y a-t-il entre la boologie et vodoun ?
Depuis 131 ans que nous sommes colonisés, c’est la première fois qu’un africain a eu l’audace d’inventer une science pour étudier la trilogie fâ-vodoun-bo. La boologie est constituée de deux (02) mots. Le premier (bo) en fon qui veut dire pouvoir, savoir et ‘’logos’’ qui veut dire discours. Donc la boologie, c’est le discours que nous produisons à l’université sur les savoirs de chez nous, les savoirs endogènes. Vodoun en fait est le 2e degré du fâ qui précède le 3e degré qui est bo. Il faut considérer le vodoun comme relevant de l’ordre de la physique. C’est-à-dire pour en parler, il faut utiliser une méthodologie qui met l’accent sur l’électromagnétisme, la manière dont nos ancêtres ont pu maîtriser les lois de la gravité pour installer un ordre politique, économique, social dans ces Etats qui étaient ‘’fâ développés’’. Le royaume du Danxomè par exemple était déjà ‘’fâ développé’’, c’est-à-dire que le développement a été conçu sur le fâ. Aujourd’hui, il s’agit pour la boologie de rétablir l’équilibre de cette partie du monde.
Qui a inventé la boologie ?
C’est le professeur Jean-Marie Cossi Apovo. C’est un philosophe, un anthropologue qui a compris à un moment déterminé que nous n’étions pas équilibrés, dans la mesure où le développement se construit à partir de l’histoire du pays. Or, de par son expérience, ayant appris la philosophie, la sociologie-anthropologie, il a compris que les théories n’étaient pas articulées autour de la vie des Béninois. A partir de là, il a pris l’initiative d’aller à la découverte du ‘’bo’’ qui était considéré comme satanique et diabolique. En faisant une recherche, une compilation, un travail de terrain, il a découvert que le Béninois ne fait rien sans le ‘’bo’’. Mais ici le ‘’bo’’ est pris en tant que savoir, savoir-faire. Il a trouvé que le pays du ‘’bo’’ est si vaste qu’il faut constituer une science pour l’étudier. C’est de là qu’il a mis en position la boologie comme la science qui étudie un système d’activité, d’attitude, de créativité et de gestion.
Parlant de la fête du vodoun au Bénin, qui a eu l’idée de la date du 10 janvier ?
Selon les confidences de Daagbo Hounon Hounan II, le 10 janvier était célébré depuis 1740 par les ancêtres. A partir de 1892, la France a fait la guerre au Bénin. En 1894, le roi Béhanzin s’est rendu. Dès lors, ils ont mis la main sur le Danxomè. Cela leur a permis d’aller tuer Bio Guèra chez les Baatonou à Nikki et Kaba dans l’Atacora. A travers le catéchisme et l’école, on enseignait que l’aliénation. Ça a créé des hommes chosifiés, vendus comme des marchandises. A l’avènement du renouveau démocratique en 1990, les vodounons du Bénin ont pris contact avec le Président Soglo qui a conduit la transition pour qu’on réserve une date aux divinités ancestrales. Et c’est la date du 10 janvier qui a été choisie. Le 10 janvier a signifié le retour à la solidarité. Le 1er Août n’a pas la force et la signification du 10 janvier. Cette fête a été instaurée pour signifier un renouveau historique. En le faisant, les intellectuels ont directement pensé à mettre en équivalence le vodoun et les religions empruntées comme le christianisme, l’islam etc. C’est pourquoi dans la constitution, et surtout dans la loi que le président Kérékou a fait voter et promulguer en 1997, le vodoun est défini comme une religion traditionnelle.
A un moment de l’histoire, nous avons trouvé qu’il y a quelque chose qui n’allait pas. Parce que le 10 janvier, les vodoun se retrouvaient et il y a la fête, la musique, la danse, la pureté, de l’art dans l’habillement, les touristes sont au rendez-vous. En tant qu’animateurs de la boologie, on s’est posé la question de savoir si le 10 janvier doit être seulement une occasion de réjouissance ? Qu’est-ce que le 10 janvier peut nous aider à réparer en politique, en économie, en santé, etc ?
Dans ce monde en mutation, il n’y a plus la nécessité d’imiter la rationalité cartésienne. Il faut maintenant considérer qu’il y a une rationalité du vodoun, il faut aller à la conquête des modèles de développement, de démocratie contenue dans le vodoun. Chaque peuple à son point de vue. C’est ce point de vue qu’il faut élever au rang de la réflexion scientifique. Le vodoun est une pensée. On ne va pas vers vodoun pour voir Dieu. Quiconque va vers vodoun, c’est qu’il est en situation, c’est qu’il a un problème. Le vodoun permet de retrouver la cause qui a généré le problème et de régler la source. Le vodoun, c’est la pureté, la compréhension, la connaissance.
Selon vous, le vodoun n’est pas une religion ?
Ce n’est pas ça notre approche. Nous sommes dialectiques. Vodoun religion traditionnelle est le maillon faible d’une chaine. Donc le 10 janvier, jour chômé et férié est un lui aussi maillon d’une chaîne.
